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Le Figaro, no. 18571
Le Figaro, mercredi 21 avril 2004, p. 11

SCIENCES ET MEDECINE

INFORMATIQUE La technique des réseaux de neurones s'impose dans de multiples domaines
Quand l'ordinateur anticipe les comportements

Christophe DORE

Avec les réseaux de neurones, technique informatique en plein essor, l'ordinateur apprend tout seul à partir d'un nombre d'informations limité au départ. Les applications scientifiques et industrielles se multiplient.

Quel rapport y a-t-il entre du vin et une automobile, de l'acier ou une compagnie d'assurances ? Mis à part le contexte particulier d'un accident de la route, quasiment aucun si ce n'est des réseaux de neurones.

Derrière « ce nom plus métaphorique que scientifique », selon Gérard Dreyfus, dirigeant le laboratoire d'électronique de l'Ecole supérieure de physique et de chimie industrielles de la Ville de Paris (ESPCI) et auteur d'un livre sur le sujet (1), se cache une technique dont les possibilités sont prometteuses. Elles pourraient faire oublier une dénomination trompeuse, assimilant les réseaux de neurones à la biologie, ce qui n'a pas été sans conséquence dans les débuts difficiles de la discipline. En l'espèce, le neurone est une fonction mathématique, maillon d'un réseau complexe. Ajoutez à cela une parenté sulfureuse avec l'intelligence artificielle et voilà expliquées des années de quasi-disgrâce.

Depuis, une croissance exponentielle de la puissance de calcul des ordinateurs et la découverte de nouveaux champs d'utilisation sont venues redonner un semblant d'intérêt au sujet. Un intérêt qui frise l'engouement en France, où l'on se targue d'avoir quelques-uns des meilleurs experts de réseaux de neurones de la planète.

Reste à savoir de quoi il retourne.

Les réseaux de neurones constituent un outil informatique qui, grâce à une analyse statistique, permet de construire un modèle de comportement à partir d'un nombre limité d'exemples. Ainsi la technique est utilisée pour permettre à des banques de définir la viabilité d'un emprunteur. On commence par soumettre à l'ordinateur des cas déjà connus. On entre dans les machines des profils précis de personne célibataire, marié avec ou sans enfant, exerçant telle ou telle profession... Puis on précise à l'ordinateur le comportement que ces personnes ont eu pendant leur remboursement, si elles ont été fiables ou non. L'ordinateur assimile ces données et construit des modèles. Le dossier d'un nouvel emprunteur peut alors être soumis à ces modèles et, avec une précision proche du sans-faute, l'ordinateur donnera une prédiction sur son comportement. Grâce aux réseaux de neurones, la banque s'engage en sachant parfaitement le degré du risque qu'elle prend avec son client. Elle peut également refuser le dossier si le risque apparaît trop grand.

Mis à part la dimension « orwellienne » du procédé qui laisse supposer que l'homme a souvent des attitudes déterminées dans des environnements précis, les réseaux de neurones confirment ce que savent depuis longtemps de nombreux scientifiques : une machine, en l'occurrence un ordinateur, peut s'enrichir des solutions qu'elle a elle-même trouvées.

« Ce qui caractérise les réseaux de neurones, c'est la volonté de permettre un apprentissage des machines », explique Emmanuel Mazer. Directeur de recherche au CNRS et président de Probayes, il s'intéresse personnellement à quelques cousins germains, les réseaux bayésiens, dont les modalités sont différentes mais la finalité proche.

Cette faculté d'« apprentissage » des réseaux de neurones explique « la très grande étendue de leur champ d'application », ajoute Gérard Dreyfus.

Car ce qui est vrai pour un panel d'emprunteurs fonctionne aussi pour des problèmes techniques, comme la détection d'anomalies sur une colonne de distillation, premier contrat de la société spécialisée Netral, et en général tous les domaines où les essais coûtent très cher (spatiale, aéronautique, automobile, pétrole...).

Il ne s'agit pas de science-fiction. Avec quelques formules mathématiques et des algorithmes puissants, la technique des réseaux de neurones non seulement prend en compte des paramètres multiples intervenant dans des processus aussi complexes que le vieillissement d'un vin ou la résistance de la carrosserie d'une voiture pendant un crash, mais elle s'enrichit au fur et à mesure des exemples qui lui sont soumis pour affiner l'analyse.

« Le réseau de neurones construit un modèle sur mesure, il ne répète pas bêtement le passé, il ne va pas chercher un modèle plus ou moins approprié parmi une bibliothèque », explique Christophe le Bret, qui a élaboré un logiciel de réseaux de neurones dès 1995.

De manière caricaturale, le réseau de neurones est une sorte de machine à lutter contre le hasard. Rien à voir avec Mme Irma. Un peu plus avec le cerveau de Sherlock Holmes qu'on aurait greffé à celui de Louis Pasteur et qui serait ainsi capable de modéliser tout ce qui a un sens.

Plus récemment et sous certaines conditions, les réseaux de neurones peuvent aussi traiter des modèles complexes avec très peu d'information. Il faut alors les combiner avec les techniques des plans d'expériences pour modèles non linéaires, une discipline qui n'est maîtrisée dans le monde que par environ quatre-vingts chercheurs et à peine cinq en France.

« Un jour, un client est venu et nous a dit que ses essais coûtaient très cher, raconte Patrice Kiener, ingénieur chez Netral. Il fallait donc travailler à l'économie. Je me suis souvenu des cours enseignés dans mon école d'ingénieur sur les plans d'expériences, cette discipline qui vise à maximiser l'information pour le minimum d'essais. Et là, surprise, il n'y avait eu que trois articles académiques qui combinaient les plans d'expériences avec les réseaux de neurones sans aucune application industrielle. Nous avons élaboré un projet de recherche et développement cofinancé par le CEA (et trois autres industriels : l'Institut français du pétrole, Rhodia et PSA). Plus nous avançons, plus nous découvrons les possibilités infinies de cette combinaison originale. »

Quelques nuits blanches plus tard, l'idée a porté ses fruits : des gains de 35 %, soit en amélioration de la précision du modèle calculé, soit en réduction du nombre d'essais sur des phénomènes complexes qui n'étaient autrefois jamais modélisés. Un logiciel commercial est en préparation.

Pratique quand on lance une fusée ou qu'on projette une voiture à cent kilomètres contre un mur. « Le seul défaut du système, c'est son côté boîte noire, conclut Patrice Kiener. D'un côté, vous rentrez des informations et des schémas d'apprentissage, le réseau travaille et donne une solution. Si le problème a été bien posé, elle est juste, sans que vous puissiez vraiment expliquer le comment du pourquoi. » De quoi renvoyer bien des cartésiens à leurs contradictions.


Illustration(s) :

Les réseaux de neurones non seulement prennent en compte des paramètres multiples intervenant dans des processus aussi complexes que la résistance de la carrosserie d'une voiture pendant un crash, mais ils s'enrichissent au fur et à mesure des exemples qui leur sont soumis pour affiner l'analyse.
(Photo AFP.)


Catégorie : Sciences et techniques
Sujet(s) uniforme(s) : Internet, technologies de l'information et multimédia
Sujets - Le Figaro : SCIENCES; INFORMATIQUE; RECHERCHE; GERARD DREYFUS
Lieu(x) géographique(s) - Le Figaro : FRANCE
Type(s) d'article : ARTICLE, PHOTO
Taille : Long, 817 mots

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Doc. : news·20040421·LF·20040421×2FIG0289


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